Ecrire en atelier d'écriture pour adultes

Brut de fonderie #5

 

Dans ce 5e numéro de la revue, vous trouverez des textes produits à l'occasion des ateliers d'écriture pour adultes et adolescents (16 ans et +) que j'anime à Lyon et Villeurbanne. Ils offrent chacun un regard sensible ou décalé sur la réalité à partir de propositions d'écriture différentes. Les ateliers d'écriture pour adultes, c'est un temps de découverte, d'expérimentation où les participants se laissent emmener par la consigne d'écriture vers des chemins nouveaux. C'est le premier pas vers le coaching littéraire.

 

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Ecrire en atelier d'écriture pour adultes

 

Hélène

 

« Hélène ! » me crie-t-on.
Non. C’est mon esprit qui s’évade. Ou est-ce l’alcool, lourd à présent dans mes veines, qui me fait dériver ? Je suis dans la zone rouge.
Personne ne m’a appelée. Je n’ai pas fui si violemment ce vieil orthophoniste dégueulasse, sillonné Athènes, Calcutta et finalement les docks de Liverpool pour me retrouver ouverte dans ses draps comme par magie ! Plutôt prendre place dans un linceul.
Je l’envisageais légère cette escapade matinale, mais mes pensées sont dans le brouillard, vautrées dans l’argile. Est-ce que ce sont ces bateaux au nez fier emmitouflés dans des châles de brume qui me foutent le moral à zéro ? Ils s’alignent tels des fantômes avachis dans les flots.
Il est bien triste mon tableau ce matin, pas propre, sans dorure. Pas le type qu’on accroche au Louvre. Je les aurais voulus dégoulinants de rose ces docks. Ce matin, j’aurais préféré me souvenir des tenues de tulle alors que je dansais, petite, des karaokés avec papa, du koala que j’avais caressé avec lui en Australie. Ou de quand il encensait Dali avec démesure. J’aurais voulu sourire, j’aurais voulu que ce soit cool.

 

 

 

Un texte écrit par Nicolas, à l'occasion de l'atelier Lieux communs

(Atelier d'écriture régulier à Lyon - PLVPB)

 

 

 

Le Parc de la Tête d'or

 

Cet après midi, Sylvie décide de se rendre au parc de la Tête d’or. Elle désire commencer une nouvelle aquarelle. Elle perçoit que les couleurs automnales et le soleil généreux faciliteront son inspiration. Au sein de cet espace étendu, il lui faudra dénicher un recoin paisible à moins qu’elle ne s’attarde sur une foule empressée de prendre l’air ou sur des enfants joueurs.
Souhaite-t-elle reproduire un paysage ou s’inspirer de l’animation ambiante ? Elle songe, indécise, à ce qui la porterait aujourd’hui.

Alors qu’elle traverse la plaine africaine, elle accélère le pas. Les odeurs et les cris des animaux prisonniers ne l’inspirent absolument pas ! Un chemin de traverse, bordé d’arbres aux essences diverses, la rassure. Quelques feuilles à peine jaunies, virevoltent et jonchent le sol. Sylvie aime sentir ce doux tapis sous ses pieds, amortissant le bruit de ses pas. Deux enfants courant à toutes jambes à la recherche d’une cachette lui coupent le chemin et la sortent de ses songes. Ils lui rappellent la course éperdue de chevreuils ayant détectés l’homme. La clairière d’où ils ont surgi bénéficie d’une lumière généreuse qui l’attire. Une famille pique-nique joyeusement. Elle les laisse à leurs agapes pour déboucher dans une allée animée. Des cèdres du Liban, majestueux, déploient leurs branches protectrices. En second plan, elle aperçoit un fragment du lac, comme par une fenêtre ouverte. Il lui semble avoir découvert sa destination.

Pendant les quelques minutes occupées à s’installer, elle sent s’imposer une lumière crépusculaire qui sera un nouveau défi artistique. Elle ne pourra empêcher la loi de la nature. Qu’importe ! Toute nouvelle expérience est utile et source d’inspiration. Elle espère cependant que la fraîcheur ne tombe pas trop rapidement sur ses épaules dénudées. Alors que les premières touches de couleurs apparaissent sur le papier, elle s’éloigne par l’esprit des trépidations environnantes. Elle perd la notion du temps.

Sylvie est une jeune femme qu’on définit souvent comme hypersensible. Dès sa naissance, elle a dû apprendre à composer entre l’abandon affectif de sa mère et la violence de son père. Pour tenter d’être aimée elle devait se conformer aux exigences fortes de sa mère. Pour protéger son intégrité physique et morale elle a dû observer attentivement les réactions, souvent incohérentes et incontrôlées de son père.
Au fil des années elle a appris à aiguiser son attention pour anticiper les attentes des adultes,  laissant sa propre nature disparaître. La parole qui libère n’était pas admise. Coupée de relations avec d’autres enfants, ne vivant pas les mêmes expériences, alors adolescente elle s’est sentie étrangère dans son propre pays. Les regards portés sur elle, comme d’implacables jugements la blessaient toujours profondément. Le recours à la solitude lui évitait un profond malaise. Elle percevait enfin un certain apaisement tout en éprouvant une souffrance indicible.

 

Elle entreprit alors un long chemin de guérison puis de pardon. Aujourd’hui même si certaines blessures sont en voie de cicatrisation, d’autres encore plus profondes ressurgissent. C’est l’esprit tout entier qui doit renaître à la vie, alors que de furtives douleurs la renvoient encore à ce sombre passé. Il lui a fallu chercher du sens à son vécu pour trouver la force d’avancer sur son chemin de vie, d’accepter. Sa propension à l’intériorité l’amena à apprécier la méditation. Elle pouvait ainsi contacter son être profond, son essence, sa lumière, intacte derrière les sombres voiles tissés par ses expériences douloureuses.

Elle aimait aussi contempler les couleurs du ciel, l’aube et le crépuscule, la forme et la tonalité des nuages. Pour en retenir la beauté, elle décida de reproduire ces jeux de couleurs à l’aide d’aquarelle, comme d’autres auraient pris une photo. Cet art lui procura beaucoup de plaisir et de sérénité. Une joie indicible. Elle s’intéressa alors à des œuvres qui pouvaient l’inspirer. Elle découvrit le peintre Alfred Sisley et tomba amoureuse de son œuvre. Les jeux de lumière la fascinaient. Durant l’été 2017, elle fit le voyage jusqu’à Aix-en -Provence pour visiter l’exposition sur l’impressionnisme qui faisait la part belle à ce peintre d’origine anglaise. Elle eut un flash. Elle avait trouvé un véritable remède au vide qui l’habitait. Son âme plongeait, se délectant d’autant de bonheur. Comme son Maître, après avoir peint le ciel, elle laissa la place au paysage, tout en jouant avec les reflets et la lumière naturelle. Elle exultait !

Elle est soudainement tirée de ses songes par une voix enjouée. « Bonjour Madame ! Ce n’est pas la première fois que je vous observe peindre dans ce Parc !  J’admire profondément ces paysages qui semblent être peints avec le cœur. Il m’est venu une idée. Accepteriez-vous de prendre un verre avec moi pour que je vous l’expose ? »
Sylvie, de la même voix qu’un être brutalement tiré d’un sommeil profond s’entend répondre « oui, si vous voulez »
Elle se dit alors qu’elle doit apprendre à dire « non » et que même si l’intention est là, ce n’est pas encore acquis ! Mais maintenant elle doit assumer sa réponse. Elle range ses affaires, sans regret, il était temps, le soleil couchant n’était plus propice à son exercice.


Tout en se laissant guider sur l’allée par son interlocuteur, elle l’écoute lui exposer son projet qu’il a visiblement déjà bien réfléchi : Il est gérant d’un institut de bien-être, il souhaite pour diversifier son activité et se faire connaître d’une nouvelle clientèle créer des événements ponctuels. Il pense à des activités plutôt culturelles qui permettraient des échanges et l’éveil de la curiosité. Il souhaite dans cet objectif décorer son institut différemment. Il aimerait que Sylvie lui présente ses œuvres et pourquoi pas, s’ils trouvent un accord, en exposer certaines.  

 

Arrivée à la buvette du parc, Sylvie s’assoit et dévisage interloquée cette personne intrigante. C’est bien la première fois que quelqu’un s’intéresse à sa peinture.  Pour se donner une contenance, tout en plongeant son regard dans le ciel de ses yeux, elle pose enfin une question à son admirateur :
« Et quel est votre peintre préféré ?  »  
« C'est difficile de vous répondre. J'ai des goûts très éclectiques, avec un faible pour les impressionnistes. » Il semble passer en revue différentes possibilités dans sa tête puis se fige soudain : « si je ne devais en garder qu'un, ce serait Alfred Sisley ». 

Sylvie se mord les lèvres.
Un tel signe du destin ! Sa vie ne va-t-elle pas basculer ce soir ? Elle frissonne et se blottit au fond de sa chaise à accoudoirs pour écouter très attentivement les projets de « Monsieur Sisley ».

 

Un texte écrit par Mireille-Aline, à l'occasion de l'atelier Lieux communs

(Atelier d'écriture régulier à Villeurbanne)

 

 

 

L'aiguille creuse

 

 

« Je ne boirai plus jamais ». C’est la première pensée qui le traverse quand il essaye de décoller ses yeux ensablés. Un vrombissement lui martèle l’intérieur du crâne. Ours hirsute échoué sur le sable humide, il rabat la couverture de provenance inconnue. Juste en face de lui se dresse un aplomb rocheux léchés par les vagues. Où a-t-il passé la soirée d’hier, comment est-il arrivé sur la plage ? Il tente de s’asseoir et de remuer les fils de sa mémoire. Ce ne sont pas ceux de la soirée de la veille qui l’assaillent, mais des souvenirs bien plus anciens. Il avait une dizaine d’années, il faisait beau, les bourrasques attisaient sa joie. Il se rappelle son émerveillement devant l’aiguille creuse, la planque de son aventurier préféré, et sa certitude qu’Arsène Lupin était bien réel. Qu’un jour, peut- être, il le rencontrerait.
Maintenant il a froid et le sel lui attaque le bout des doigts. La dent de pierre de ses souvenir est devant lui et ses paumes sont écorchées d’en avoir tenté l’escalade. Il se revoit, titubant dans l’obscurité, palpant les aspérités de la roche à la recherche de l’entrée de la cachette. En vain. Pas de secret, pas de trésor, ce maudit caillou est resté muet comme un livre fermé. La fin de l’ivresse sonne le glas de sa rencontre tant désirée avec l’aventurier.

 

 

Un texte écrit par Marie, à l'occasion de l'atelier Marée haute, marée basse

(Atelier d'écriture régulier à Lyon - PLVPB)

 

 

 

L'avaleur de tracas

 

Je tiens entre mes mains un objet étrange, dont je n’avais pas encore noté l’existence depuis mon arrivée. D’une banalité terrible, constitué simplement de deux carrés de plastique noir rugueux de piètre qualité, joints sur trois côtés; sa seule originalité consiste en une petite lanière jaune sur laquelle on peut tirer, permettant de former un joli nœud, refermant ainsi l’ouverture laissée sur son quatrième côté. Je suis intriguée. Comment ce peuple, pourtant si soucieux, au demeurant, d’exhiber un intérieur soigné, peut-il y inclure ce triste élément. En le manipulant, il m’apparaît évident qu’il est destiné à cacher, couvrir, transporter des choses, mais lesquelles ?

 

C’est en observant la mère de famille chez qui j’ai élu domicile que j’entrevois une partie de la réponse. Caché à l’intérieur d’un récipient plus gros que lui, et décoré de jolis dessins, l’objet est soustrait à la vue de tous. Sa laideur ne le rend pas digne d’apparaître tel qu’il est dans la maison. Je la vois de dos. Cette femme élégante s’approche alors de l’objet. Son corps est soudain pris de convulsions, alors qu’elle se penche au-dessus de l’ouverture béante. Ses bras s’agitent, sa tête dodeline, son buste se tord. Je crains un instant qu’elle ne tombe à la renverse, avalée par ce trou noir. Puis elle se redresse. Lorsqu’elle se tourne vers moi, son visage rosi par l’effort s’illumine. Un soulagement immense semble l’envahir. Cet objet si insignifiant a-t-il mangé, d’un coup d’un seul, ce qui peignait cet air si triste sur son beau visage ? Son ventre béant accueille-t-il volontiers mauvais souvenirs, petits tracas et gros soucis, peurs, haines, désespoir ? Point de tri, tout est permis. Quelques mouvements désarticulés suffisent à se dégager du poids des pensées qui vous hantent. Je comprends rapidement pourquoi chaque membre de la famille s’y rend à tour de rôle et plusieurs fois dans la journée.

 

C’est un peu comme une idole que l’on vénère et auprès de qui l’on vient laver son âme. Sous son air austère, l’avaleur de tracas a les pleins pouvoirs. C’est finalement sa toute-puissance qui fait qu’on préfère le cacher. Mais il faut le remplacer souvent, car sa contenance est limitée. Au bout de quelques jours, l’odeur de la peine est trop puissante. Elle vous prend à la gorge. Alors, la languette jaune est tirée d’un coup sec, nouée à la hâte, masquant pour de bon tout ce qui se trouve de mauvais dans ce ventre bombé. L’avaleur est alors emmené hors de la maison, où il va rejoindre d’autres avaleurs pour gagner cet endroit terrible où l’on broie les mauvais souvenirs. Il paraît qu’il n’est pas loin de la maison. Oserais-je m’y aventurer ?

 

Un texte écrit par Aurélie, à l'occasion de l'atelier Petite ethnologie fantastique

(Atelier d'écriture régulier à Lyon - PLVPB)

 

 

 

Lettre d'un monde étrange

 

"Salut ma belle,

Tu sais, depuis que tu es partie, beaucoup de choses ont changé. Les montagnes n'arrêtent pas de se déplacer. Le paysage a du mal à se stabiliser. L’exubérance de la végétation renforce cette sensation surréaliste. Tu devrais voir ça. Les champs de fleurs forment de grands aplats de couleurs.


Dans ce monde en mouvement permanent, les oiseaux et les insectes volants ont pris le pas sur le reste de la faune. Il est possible de s'en rendre compte car les insectes émettent un vrombissement permanent. Je t'assure, il est perceptible même la nuit.

Contrairement au paysage, le climat ne change pas. Il pleut presque en permanence. La terre est toujours humide. Nous baignons dans une odeur de sous-bois humide et de mousse.


Nous venons de déménager dans une nouvelle maison.  Elle est montée sur des roues pour s'adapter au déplacement des montagnes. Elle est aussi équipée d'un système qui permet de la surélever pour faire face aux crues dues aux pluies constantes.
Ah, j'oubliais de te dire !! Depuis que je suis majeur, j'ai le droit de porter mon lasso accroché à la ceinture. A chaque fois que je le porte, le souvenir de nos séances d'entraînement refait surface

 

C'est qu'il faut être un as pour déterrer une taupe géante et la seller avant de la monter. C'est un sacré rodéo  pour pouvoir se rendre au centre du bourg.

J’espère, très bientôt, avoir l'occasion de te montrer mon talent. Écris-moi vite, j'attends de tes nouvelles."

 

Un texte écrit par Bernard, à l'occasion de l'atelier Lieux imaginaires

(Atelier d'écriture régulier à Lyon - PLVPB)

 

 

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