Ecrire sa vie

Ce qui nous met en mouvement pour écrire, est souvent notre propre histoire. Heureuse, piquante ou carrément traumatique. Écrire sa vie constitue le premier matériau, la première marche pour se lancer. Qui, mieux que nous, est légitime pour parler de ce qui nous traverse ? La peur de "ne pas savoir écrire" s'efface alors derrière l'urgence de dire, de nommer, de partager des émotions car l'on sait, instinctivement, que ce que l'on écrit servira à d'autres, résonnera, fera écho.

 

Cependant, écrire l'histoire de sa vie peut s'épuiser dans la plainte ou la seule narration d'épisodes traumatiques personnels. Si elle remplit une fonction thérapeutique précieuse de dépôt des émotions, l'écriture appelle aussi autre chose : le  récit d'une histoire, la création d'un monde, la construction d'un lien entre celui qui écrit et celui qui lit.

 

Isabelle Poirot est médecin de réadaptation pédiatrique. Elle a participé à mes ateliers d'écriture collectifs. Puis elle a souhaité que je l'accompagne pour écrire Le choix nous appartient, publié en mars 2020 aux Presses Universitaires de Grenoble. Ce texte court, intime et poignant, raconte le cheminement d'un médecin et celui d'un couple de parents confronté au diagnostic anténatal du handicap de leur enfant à naître.

Quelques extraits du livre à découvrir ici.

 

Dans l'interview qui suit, Isabelle raconte son parcours d'écriture, la gestation de son projet, entre réalité et fiction, entre son histoire et celle des autres, parents, soignants.

 

ecrire sa vie

Sylvie Gier : Comment t'est venue l'idée de ce livre, Le choix nous appartient ?

Isabelle Poirot : L’idée est venue très progressivement. J’ai d'abord écrit quelques pages pour les étudiants en médecine de mon service, pour leur transmettre mon expérience sur la question de l’annonce du handicap en période anténatale.
Je voulais expliquer comment cela se passait du côté médical, mais aussi du coté des parents, des patients. Pour favoriser le lien entre ces deux mondes.
Mon écrit était alors un genre d’essai, une réflexion.
Puis je me suis dit que si je voulais rapprocher ces deux mondes, il fallait que je donne aussi de l’info aux premiers concernés, les parents, que je leur raconte comment cela se passait du côté médecin.
Et j’ai encore cheminé. L’annonce d’un diagnostic anténatal est finalement l’affaire de tous, alors je suis partie sur l’idée de raconter une histoire pour que ce soit accessible et lisible par tous.

- Comment t'es-tu mise dans l'écriture au début ? Comment cela s'est passé ?

Au début c’était une écriture « professionnelle », comme j’en avais l’habitude. Une écriture froide, je dirais. Puis, petit à petit, j’ai libéré mon émotion. J’ai écrit tout ce qui me venait par la tête sans mettre d’obstacle. J’ai écrit les choses très dures que je vivais en tant que médecin mais aussi les choses terribles que me racontaient les parents, et qui me révoltaient.
Mais j’écrivais pour moi seulement, pas pour être lu, pour libérer ce que j’avais à dire.

- Quand as-tu senti le besoin d'avoir d'un accompagnement à l'écriture ?

Quand j’ai écrit tout ça, c’était en vrac. Cela ne pouvait pas être transmis tel quel. C’était bien trop personnel.  Il fallait que je réécrive tout pour faire passer des messages, des interrogations, avec tact. Mon idée n’était pas de « ruer dans les brancards » mais de lever le voile sur la question du diagnostic anténatal et particulièrement sur la question du consentement.
Alors comme l'écriture n’est pas mon métier, j’ai cherché de l’aide.

- Comment as-tu vécu cette collaboration ?

La première chose, la plus importante a été d’avoir quelqu’un de neutre et d’expert en écriture, avec qui en parler.
Je ne voulais pas de quelqu’un qui écrive pour moi. J’avais besoin d’un guide. Et c’est vraiment le rôle que tu as joué. Et, au fil du temps, je me suis améliorée, j’écrivais de mieux en mieux, au sens que j’osais faire lire quelques passages à mes amis proches.
En fait, tu t’es mise à ma portée et avec beaucoup de bienveillance et de respect. Tu me posais des questions. Ça me faisait réfléchir. Je modifiais. Tu me disais d’autres choses, je laissais mûrir, je reprenais le texte…je te le montrais, ou pas… Tu étais disponible. J’étais très libre.

- Quand est-ce que tu as eu la sensation que le travail était "terminé" ?

Ah ça…. Jamais. Quand je l’ai envoyé à la maison d’édition, c’était un peu un test, pour voir. Pour voir si je me trompais complètement ou bien non. Si ça pouvait intéresser un public.

- Est-ce que le fait d'être accompagnée a changé ta vision de l'écriture, de ce que c'est que de "raconter une histoire" ?

En fait j’ai commencé des ateliers d’écriture en groupe. Je voulais voir si écrire me plaisais vraiment et si c’était à ma portée, si mon idée de transmettre mon expérience par l’écriture était du domaine du rêve ou du possible. J’étais hyper coincée les premières fois. L’horreur quand tu nous a fait lire à haute voix les quelques phrases que nous venions d’écrire avec peine ! Mais le regard des autres sur les mots que j’écrivais, leur écoute bienveillante, le partage de ce que nous écrivions, en toute confiance, m’a beaucoup fait grandir.

- Comme tu as pratiqué les deux approches, quelle différence fais-tu entre le coaching littéraire individuel et l'atelier d'écriture collectif ?

Je vois cela comme pour un musicien. Il a besoin de faire des gammes, de s’entraîner, de  tester son jeu expressif, avant de jouer devant des spectateurs. Et en atelier, on fait des gammes, en s’entraîne, on teste de nouvelles choses, on regarde l’effet que ça fait sur les autres si on écrit comme ceci ou cela.
Le coaching, c’est travailler seul à seul avec un « expert », pour être guidé. C’est un vrai travail avec un professeur qui souhaite nous transmettre son savoir et nous voir progresser.

- Comment te sens-tu par rapport à l'écriture d'un nouveau livre ? (plus armée ? plus endurante ? plus consciente des enjeux ?)

Ah oui , je suis prête pour le deuxième. Il est bien avancé déjà. Ça va plus vite. J’ai des phases où je me laisse aller à écrire comme ça me vient, puis je reprends le texte pour le structurer, le nuancer. J’essaie de travailler régulièrement, sinon je lâche, je perds le fil.
Certaines personnes, quand elles ont lu Le choix nous appartient, m’ont demandé combien de temps j’avais mis pour écrire ce livre. Elles ont été très étonnées de ma réponse. Elles m’ont dit : « mais j’ai cru que tu avais pris un cahier, un stylo, que tu t’étais installée sur un coin de table quelques heures… » La bonne blague ! J’ai mis 2 ans à écrire ce livre et il était en gestation depuis très longtemps déjà.
Même si on est doué, il faut travailler et persévérer, c’est ça le secret !

- Qu'est-ce que tu aurais envie de dire aux personnes qui ont envie d'écrire mais hésitent à se lancer dans un réel projet d'écriture, collectif ou individuel ?

C’est une expérience qu’il ne faut pas louper dans sa vie.

Ouvrez les yeux et sautez ! En bas vous trouverez une eau douce, qui vous donnera une force inouïe. Et rien ne vous empêchera de regagner la rive, si vous préférez la terre ferme...

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