Premiers pas pour écrire un livre

Brut de fonderie #3

 

"J'ai une histoire à raconter mais je ne sais pas comment écrire"..."Par où commencer ? J'ai besoin d'aide pour écrire un livre"...Au début d'un projet d'écriture ou de la pratique régulière de l'écriture en atelier, il y a souvent la peur. Peur de ne pas savoir faire, de ne pas être légitime, peur de la comparaison avec les autres participants ou les auteurs qui ont écrit avant, sur le même sujet, et tellement mieux, nous semble-t-il.

Le premier pas pour écrire un livre, un texte, le début d'un carnet, c'est de lâcher cette peur. Et se concentrer sur ce que nous voulons écrire, s'appuyer sur cette envie profonde, identifier ce qu'elle met en jeu pour nous et pourquoi nous devons absolument écrire ce texte ou ce roman. Sans chercher à plaire ou à transmettre ou à nous "débarrasser" de choses encombrantes, mais simplement parce que nous avons irrésistiblement envie de l'écrire. Si cette envie n'est pas réellement là, peut-être faut-il encore réinterroger le projet, le recalibrer, le scinder ? Identifier ce qui bloque et qui est alors plus de l'ordre de l'émotionnel que de la technique ?

Le conseil d'écriture que peut proposer un coach littéraire intervient alors à deux niveaux : en amont, pour aider à clarifier ces résistances et en aval, pour proposer des outils en vue de s'organiser dans la production du texte : stimulation de l'imaginaire, sculpture du texte - qu'il fasse 2 ou 200 pages...

Comme nous y encourage le premier texte de cette sélection d'écrits d'ateliers, il s'agit d'abord de nous mettre...en route !

Premiers pas pour écrire un livre

En route

Denver, cinq heure trente du matin, dans mon sac de couchage, caché dans les buissons d’un nœud autoroutier au sud de la ville. Le jour se lève à peine. J’avale un sandwich. Je bourre mes affaires dans mon sac, rejoins le bord de l’autoroute. Dans la fraîcheur du petit matin, sous le ciel bleu strié par des traînées d’avions, je commence à faire du stop. C’est désert. Je reste aux aguets car le stop est interdit ici, au Colorado. Je suis prêt à plonger dans le fossé d’herbe sèche à la moindre alerte. Une des rares automobiles qui passent s’arrête. Je ne demande même pas au conducteur où il va, le remercie de s’être arrếté et monte dans sa voiture. Alors que l’on commence à rouler vers l’ouest, un grand sourire éclaire mon visage et, malgré l’heure matinale, j’entame une joyeuse discussion avec mon chauffeur, qui n’aime pas voyager seul. (...)

Déjà deux semaines que j’ai quitté New York. Je suis arrivé à Kennedy Airport avec soixante dollars en poche et un billet retour pour dans deux mois et demi. A vingt ans, j’en avais marre ! Besoin d’air, de grand large ! Départ difficile en stop de cette mégapole où les grands axes ne sont que des autoroutes sur lesquelles il est bien évidemment interdit de faire du stop. Tant pis ! J’y suis allé franco ! Direction l’ouest ! L’ouest ! L’ouest ! Je ne pensais qu’à ça en marchant sur le bord de l’autoroute urbaine, pouce levé, dos aux voitures sur lesquelles je jetais des coups d’œil en arrière, à moitié caché derrière mon sac. D’étape en étape, de ville en ville, de voiture en voiture, parfois en camion. Colombus, Indianapolis, Saint-Louis, Kansas City…. J’avançais vers la côte pacifique située à 4500 km de New-York. La nuit, je dormais où je me trouvais, souvent sur le bord de la route. Il faisait beau et chaud, comme dans un été sans fin. (...)

Avant Denver, deux jeunes filles m’ont pris en stop. On a tout de suite sympathisé. Elles allaient passer un week-end à la montagne. Au moment de quitter la grande route pour prendre une piste, elles m’ont invité à venir bivouaquer avec elles.  On a passé une soirée à bavarder autour du feu qui cuivrait nos peaux, faisait briller nos yeux, éclairait nos sourires. Parfois, à ne rien dire, juste rester là, à regarder les flammes, les étoiles et le noir de la nuit. Les filles m’ont laissé sur les hauteurs de Boulder, une station de ski d’où j’ai pu rejoindre facilement Denver.

J’ai dépassé le point milieu de mon voyage vers le Pacifique. En voiture, en camion, les paysages défilent devant moi : routes sans fin, plaines immenses, montagnes majestueuses. Je suis devancé chaque jour par le soleil qui traverse le ciel et disparait à l’ouest dans des abîmes de feu. Je suis sa trace vers de nouveaux chemins.

 

Extraits du texte écrit par Eric, à l'occasion de l'atelier Carnet de voyage

(Atelier d'écriture régulier à Villeurbanne)

 

 

 

Dans le bureau du président

 

C'était l’aurore et dans son bureau immense, le président régnait. Dans la compagnie qu’il dirigeait d’une main ferme depuis des années, comme son père avant lui et comme son fils assurément après, ça filait droit. Ici, pas de babas cools à ukulélé, pas de jeunes hirsutes ou d’andalous bronzés. Ici, ordre, discipline et sécurité !
Il ne l’entendit pas arriver. Elle ne prit pas la peine de frapper et entra par surprise. Soudain, elle se tenait là, debout, droite devant lui. Elle s’appelait Danielle. C’était une des filles qui travaillaient dans l’atelier B. Il l’avait déjà repérée avec ses manières qu’il jugeait sans équivoque : c’était une rebelle ! Elle lui dit qu’elle venait au nom des autres, qu’ils en avaient tous marre d’endurer ce qu’ils enduraient, que ça suffisait de supporter ses façons de vieux dinosaure lunatique.

Alors, il eut l’impression qu’un nénuphar éclatait dans sa poitrine. Déjà, il vacillait. Il se pensait bien plus robuste. Hagard, il en laissa tomber son dentier.

 

Un texte écrit par Nadia, à l'occasion de l'atelier Lieux communs

(Atelier d'écriture régulier à Lyon - PLVPB)

 

 

Dernier jour

 

Cela faisait vingt ans qu’elle travaillait dans cette boîte, vingt ans que du lundi au vendredi à neuf heures elle pointait puis s’installait devant sa machine, dans l’odeur de la poussière d’un aspirateur qui venait d’être passé. Vingt ans. Il y avait eu un seul mouvement, il y a sept ans. Elle avait changé son itinéraire. Elle arrivait maintenant par le haut, par la rue des petites sœurs. Changement de bus oblige depuis son déménagement en banlieue.

Et depuis sept ans chaque jour quand elle tournait au coin de la rue des petites sœurs, elle voyait  un homme à sa fenêtre, derrière le rideau de son rez-de-chaussée. Quand elle apparaissait, il  dégageait le rideau de sa main ridée, déformée, et leurs regards se croisaient. Puis il laissait le rideau retomber. Un regard sans joie, sans interrogation. Juste un regard. Donné. Elle lui rendait son regard, sans joie, sans interrogation. Juste un regard. Elle était petite et boulotte, guindée. Il était vieux, grand et gros, noir de peau.

Aujourd’hui, c’était la dernière fois qu’elle passerait dans la rue des petites sœurs. Elle avait été virée. Elle le savait depuis deux mois. Depuis deux mois elle ruminait, mais aujourd’hui, plus possible de faire semblant, c’était le dernier jour. Le demain d’hier ne reviendrait pas. C’était fini. Elle avait tenu bon durant ce mois, elle avait fait comme si de rien n’était : rue des petites sœurs, regards, neuf heures, pointage, machine dans l’odeur de l’aspirateur qui venait d’être passé. Mais aujourd’hui elle sentait la douleur qui montait, la rage qui se réveillait. Elle était en train de tout perdre, elle se sentait humiliée. Sa vie sécurisée, sans risque, bien rodée, régulière et sans surprise, construite avec autant de minutie, cette vie, sa vie, se brisait. Ce travail, ce n’était pas grand-chose mais ça lui permettait d’être quelqu’un d’autre qu'une petite ménagère dans une petite maison de banlieue avec son petit mari, son petit chien et son fils.

Aujourd’hui elle était au milieu de l’océan, seule. Il y avait du vent ce jour-là, et chaque rafale était un courant d’eau glacée qui tourbillonnait autour d’elle. Une rage mêlée de désespoir grondait, bouillonnait à l’intérieur d’elle-même, qui l’empêchait d’être emportée par le frisson qui la parcourait. Elle sentit alors le regard de l'homme derrière son rideau, posé sur elle comme une bouée à l’horizon. Le rideau du rez-de chaussée était retombé mais son pas avait déjà changé de direction, son pied était déjà descendu du trottoir et elle traversait la route, ses talons frappant fermement le pavé. Elle sonna. Elle attendit. Elle sonna encore. Elle attendit. Elle sonna plus longtemps et plus fort une fois, deux fois, trois fois. Elle attendit. Lui, derrière la porte hésitait, il avait peur. Elle sonna encore et son désespoir qui commençait à l’envahir lui intima d’insister, elle frappa de son poing. Rien. Puis de ses deux poings, de plus en plus fort, elle tambourinait maintenant  à la porte et les larmes ruisselaient sur son visage. Il ne pouvait pas l’abandonner, ce n’était pas possible, quelque chose était né, qui lui avait dit que ce regard était celui de quelqu’un. Derrière la porte il était coi, tétanisé devant un choix impossible pour lui. N’était-il pas préférable de rester dans sa petite mort, dans cette solitude dont il n’espérait plus sortir, n’attendant plus rien, même pas ce regard du matin. Il perçut un murmure implorant ... s’il vous plaît… Il ouvrit.

Elle se calma immédiatement, son regard plongé dans le sien. Ils restèrent ainsi un long moment, indifférents aux cris de la voisine du dessus qui avait ouvert sa fenêtre avec fracas et hurlait sa colère d’avoir été réveillée par les coups de poing sur la porte. Puis elle dit : « Pourrais-je revenir demain ? ». Il hocha la tête. Doucement elle se détacha, se recula. Doucement il poussa la porte. Elle lui tourna le dos pour s’éloigner et entendit alors la porte se refermer avec une infinie douceur.

 

Un texte écrit par Isabelle, à l'occasion de l'atelier Personnages

(Atelier d'écriture régulier à Lyon - PLVPB)

 

 

 

La montagne bleue

Assise à l'ombre de l'olivier, l'enfant sort de son cartable un livre d'images. Elle tourne rêveusement les pages. Elle mordille son crayon qui laisse un goût amer sur sa langue. Dans la marge, elle dessine un goéland. Elle s'arrête à la page 7 :  c'est une montagne au lever du jour, toute bleue, et déjà le film d'une longue marche à travers la lande au pied de la montagne se déroule sous ses yeux.

Qui donc peine, courbée, si lourdement chargée, sous le ciel menaçant ? C'est Marie-Claire, la vieille nomade. Elle cherche le couvent perdu dans la montagne bleue où elle espère trouver le gîte et peut-être assister à la messe latine. mais déjà, l'orage est là. Le vent est plus violent. Marie-Claire s'arc-boute. Les premières gouttes la giflent et bientôt un rideau de pluie lui cache la montagne bleue. La gorge nouée, elle aborde une haute dune, dépose son sac, sa tente et son arme - un couteau bien affûté - car on ne sait jamais, dans cet univers incertain.

L'eau a formé de grandes flaques où le jeu brillant des éclairs fait surgir par instants des nénuphars, des pétales de lune. Marie-Claire jette autour d'elle des regards angoissés. Elle sait bien qu'il lui faut poursuivre sa course malgré la fureur des éléments. Un hanneton égaré vient buter contre sa joue. Surprise, elle s'en saisit et contemple le pauvre insecte, en plus grand péril qu'elle-même. Mais sottement, il s'échappe de la cage de ses mains qui voulaient le protéger. Elle tourne le dos à la pluie et s'appuie contre la dune, allume avec difficulté une cigarette, comme l'Indien son calumet pour prier. La cigarette aussitôt éteinte, Marie-Hélène tousse, frissonnante. Quelqu'un là-haut l'a entendue, malgré le fracas du tonnerre. Le ciel s'éclaircit. Là-bas dans le lointain,un arc-en-ciel auréole l'enceinte du couvent posé comme un oiseau sur la montagne bleue.
L'enfant laisse le livre et le cartable sous l'arbre et court prendre une belle pièce brillante dans sa tirelire. Si Marie-Claire s'arrêtait au portail, elle la lui donnerait.

 

Un texte écrit par Jacqueline, à l'occasion de l'atelier Lieux communs

(Atelier d'écriture régulier à Villeurbanne)

 

 

 

Les aiguilles du temps

L’ardoise aride sous mes yeux, la craie serrée dans la main droite, j’essaie d’attraper les mots anguilles que la maîtresse, du haut de son estrade en bois, articule d’une voix forte, levant les yeux de son cahier pour poser un regard circulaire sur nos têtes penchées. Des aiguilles me piquent le ventre. Ce que j’entends n’a aucun sens et affolée, je gribouille maladroitement des lettres majuscules qui ont la tremblote. C’était il y a longtemps.


Je me suis laissé entraîner par mes collègues de travail et les ai suivies à la pause de midi dans leur bistrot habituel. Je les observe distraitement tricoter une conversation languissante devant leur café froid. Guillemette la nouvelle stagiaire toute guillerette raconte avec force détails ses dernières vacances dans un gîte rural où elle a cherché à tromper son ennui en jouant dans le foin avec le fils d’amis de ses parents, encore adolescent. Un vrai porc et pic ce gamin et elle a beaucoup ri quand il en est ressorti tout rouge en brandissant une aiguille qui avait entamé ses fesses. Elle s’esclaffe bruyamment à ce souvenir et son rire de jeune fille heureuse m’entame le cœur de l’aiguille de la jalousie. Ça n’en finit pas.

J’ai chaud. Par la baie vitrée du restaurant,  mon regard se pose sur les branches d’un pin dont les aiguilles trop vertes et pointues se balancent mollement sous la brise. Le bruit des voix autour de moi devient murmure.


Rattraper hier.


Une fenêtre haute et étroite, laissant se profiler un ciel changeant. Je suis dans une des salles de classe où j’ai échoué au fil de ma petite enfance et qui se confondent dans ma mémoire avec leur ennui pesant et l’aiguillon de ma colère. Pourquoi m’avait-on posée là alors que je voulais être ailleurs ! Je voulais retrouver ma grand-mère décorant sous mes yeux ardents le sapin de Noël, je voulais retrouver celle qui décorait ma vie.  Je voulais retrouver la robe rouge du père Noël dans les plis desquels se cachaient encore des aiguilles de sapin que j’avais dénichée un jour sous une pile de draps dans une armoire au grenier. Découvrant mon forfait ma grand-mère m’avait traité de petite curieuse dévergondée et une aiguille s’était plantée dans mon cœur.


Je sursaute en entendant le raclement des chaises poussées sous la table. Mes collègues se sont levées. J’ai dû rater quelques virgules de la conversation car elles en sont à la façon pimpante et frôlant le ridicule dont s’habille notre chef de service depuis qu’elle a fait la rencontre d’un beau ténébreux. Les contes de fée qui finissent bien, surtout ceux des autres n’ont pas leur place dans les bavardages de bureau, aiguilles acérées en direction des absents. Je me lève à mon tour. Une lourdeur me saisit, je me voûte en pensant à ce qui m’attend dans le local étriqué où je tape l’un après l’autre des courriers qui se ressemblent tous. Elles ne font pas attention à moi et se dirigent vers la porte, faisant claquer leurs talons aiguille sur le carrelage.

 

Je la franchis à mon tour, relève la tête. Le temps est radieux. Le soleil darde ses aiguilles chaudes sur mon visage. 

 

Un texte écrit par Geneviève, à l'occasion de l'atelier Ricochets

(Atelier d'écriture régulier à Villeurbanne)

 

 

 

Soleil bleu

 

Le soir tombe sur le jardin du Soleil bleu. De sombres nuées d'orage dessinent l'image d'un bison tourmenté dans le ciel. Un hibou chatoyant le chevauche tel une gargouille, ignorant ses ruades agiles et excédées. Grégory rêve, étendu dans l'herbe. Son esprit flotte avec les nuages. Il imagine le bison atrabilaire fuyant quelque horrible abattoir, poursuivi par les rides enflammées des pistoleros de la mort en barquette. La rosée imprègne ses sens et ses vêtements. Le jardin l'enveloppe. L'odeur sucrée du chèvrefeuille et des gardénias se fait caresse. Le cocon organique le nourrit tout entier, baigné dans la lumière bleue tourmentée, zébrée au loin d'éclairs. Allez Grégory, il faut rentrer.

 

Un texte écrit par Sabine, à l'occasion de l'atelier Lieux communs

(Atelier d'écriture régulier à Lyon - PLVPB)

 

 

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